C’est ce que déplore l’une des grandes architectes de l’univers numérique...
On vous l’a sans doute dit et redit des milliers de fois : la clé de la réussite dans le monde numérique, c’est d’apprendre à coder et à programmer.
C’est à croire que l’industrie numérique ne jure que par sa capacité à bien programmer une application.
Et pourtant. Maîtriser la programmation ne fait pas de vous un dieu des applications numérique. L’ubiquité d’internet et l’accent de plus en plus prononcé mis sur le numérique rendent la pensée et la réflexion essentielles.
C’est du moins ce qu’affirme Tracy Chou dans un récent article du magazine Inc. L’ingénieure logicielle de Stanford a commencé sa carrière chez Google et Facebook, a participé au développement de Quora et de Pinterest, et a travaillé au service numérique du gouvernement américain.
Alors que le numérique est de plus en plus présent dans nos vies, on pourrait penser que les programmeurs et les autres intégrateurs trônent au sommet du monde. Les adeptes des « sciences molles », eux, sont relégués à l’arrière-ban.
Au contraire, la pénétration toujours plus profonde du numérique dans le quotidien exige de plus en plus de réflexion, voire de capacité à s’interroger sur la nature des choses, soutient Tracy Chou. En fait, une solide éducation en philosophie, en sociologie et en histoire est nécessaire.
Le pourquoi du comment des choses
En tant qu’ingénieure, Tracy Chou n’avait jamais pris les sciences humaines au sérieux. Puis, ses réalisations professionnelles l’ont amené à réfléchir davantage sur le pourquoi du comment des choses.
Lorsqu’elle a commencé à développer le site de questions-réponses Quora, qui rejoint 100 millions de visiteurs uniques par mois, elle s’est rapidement aperçue que le défi dépassait le simple code numérique.
Les décisions que le site prenait pouvaient avoir un impact sur la vie des gens et la façon dont ils comprennent le monde qui les entoure. Il lui fallait se questionner sur la nature des interactions humaines, sur la façon dont les gens répondent aux situations, et sur le type de comportements qu’on souhaitait leur faire adopter.
« Comme nous développions le produit, on se demandait de plus en plus ce que nous voulions léguer comme valeur au monde », relate Tracy Chou.
Et c’est alors que se fit le déclic : elle comprit l’utilité de la philosophie, de la littérature, de la psychologie et des sujets de réflexion qu’elle jugeait inutile auparavant.
Les sciences sociales lui ont apporté des éléments de réponses quant au pourquoi et au comment des choses. « À qui s’adresse mon programme ? Comment peut-il changer le monde autour de moi ? Pourquoi est-ce importante ? », sont quelques-uns des questionnements qu’elle a dû intégrer à sa conception logicielle.
Sortez du langage informatique !
Dans sa lutte à l’intimidation en ligne, elle s’est questionnée sur la nature humaine : les gens sont-ils foncièrement bons ? Ou foncièrement méchants ?
Son expérience chez Quora lui a permis de développer ce réflexe analytique. Passant à d’autres organisations, elle constate que ce réflexe est pratiquement inexistant dans l’industrie numérique.
« Ça m’inquiète que tant de gens dans l’industrie ne se posent pas de questions quant aux implications sociales de ce qu’ils font », poursuit-elle.
Elle conclut par un cri du cœur : il n’est pas trop tard pour se mettre à lire, à voyager, à découvrir d’autres univers que le langage informatique. Car, lorsqu’on travaille sur des produits qui affectent le quotidien de millions de personnes, réfléchir aux relations de pouvoir, aux inégalités et aux injustices doit faire partie de l’équation.