Dans le secteur des technologies de l’information et des communications, 20% des 210 000 travailleurs québécois sont des femmes, une proportion qui n’a pas changé depuis 2011.
« Une des caractéristiques des milieux de développement informatique est la prédominance masculine, » peut-on lire dans le Diagnostic sectoriel de la main-d’oeuvre dans le secteur des technologies de l’information et des communications (TIC) au Québec de TECHNOCompétences.
Les divers groupes constituant les professionnels en TIC (%)
Source : TECHOCompétences.
Pourquoi donc y a-t-il moins de femmes en technologie?
Nous avons posé la question à Cassie Rhéaume, directrice de Lighthouse Labs à Montréal. Selon elle, la sous-représentation des femmes en techno est un phénomène historique.
« Autrefois, c’était un secteur où les femmes se ramassaient de façon un peu plus organique : celles qui étaient bonnes en sciences, bonnes en maths… Quand les ordis ont été démocratisés et ont commencé à rentrer dans les foyers, c’était dans le bureau des papas et la chambre des frères, complètement à l’écart des filles! Ça ne s’adressait pas à elles. Ça a contribué à créer un fossé. »
Le marketing technologique d’alors, qui visait davantage la gent masculine, a découragé bien des jeunes filles à se diriger en informatique. Les étudiantes qui faisaient ce choix avaient du rattrapage à faire, dans une classe où leurs confrères ont touché à des ordinateurs bien des années auparavant.
Cassie Rhéaume, directrice de Lighthouse Labs à Montréal.
Photo : Albert Zablit.
Selon Liesl Barrel, PDG de Third Wunder, l’imaginaire collectif dépeint encore aujourd’hui l’étudiant en informatique comme un timide jeune homme à lunettes qui peine à établir des liens avec les gens, et donc qui passe tout son temps à son ordinateur.
« Cela donne l’impression aux filles que pour avoir une carrière en technologie, tu dois déjà absolument avoir tout un arsenal de connaissances informatiques sous la ceinture. »
Pourtant, ce n’est pas le cas, selon Cassie Rhéaume.
« Encore aujourd’hui, la première année d’études est celle de l’initiation, indique la directrice de Lighthouse Labs. On n’a pas le choix, il faut mettre tout le monde à niveau. Si tu as de l’expérience dans les ordinateurs, ça se peut que tu te distingues en première année. À la deuxième, tout le monde est à niveau, et ce n’est pas l’expérience qui va te faire démarquer. »
Encore du travail à faire en éducation
Les avancées technologiques, on en entend beaucoup parler. On parle moins des métiers qui y sont reliés : quels sont-ils, et quelle formation permet d’y accéder? Pour favoriser la présence des femmes en techno, il y a encore beaucoup d’éducation à faire.
« C’est un milieu encore très, très opaque, croit Cassie Rhéaume. Tout ça contribue à la mise à l’écart des femmes.
La PDG de Third Wunder Liesl Barrell croit que cette éducation doit se faire dès le plus jeune âge.
« Dès le primaire, on entraîne les petites filles à être des consommatrices de technologie, indique Liesl Barrell, mais moins à être des créatrices de technologie, alors que nous avons tous la capacité de créer! »
Liesl Barrell, cofondatrice et PDG de Third Wunder.
Mais ça va de mieux en mieux, se réjouit la directrice chez Lighthouse Labs Cassie Rhéaume. « Il y a beaucoup d’organisations qui poussent auprès des jeunes, même auprès des parents. »
Et ça semble fonctionner! De plus en plus de filles s’inscrivent à un baccalauréat dans le domaine des technologies de l’information et des communications au Québec. Mais si l’inscription des filles au bac a doublé dans les cinq dernières années, le niveau de diplomation de suit pas exactement la même courbe.
Évolution de la proportion des femmes dans les professions en TIC, nouvellement inscrites et diplômées au baccalauréat (2006-2016).
Même si beaucoup de filles s’inscrivent au baccalauréat, peu parviennent sur le marché du travail en TI.
« Les études supérieures sont très populaires chez les filles, souligne Cassie Rhéaume, mais il y a une infime partie qui arrive sur le marché de l’emploi. On ne connaît pas bien le cheminement des ces filles-là. Ce qui me fait plaisir de croire, c’est que la plupart choisissent de poursuivre leurs études. »
La PDG de Third Wunder Liesl Barrell croit quant à elle que le marché du travail en TI ne valorise pas les talents et les compétences des femmes autant que celles des hommes, ou encore, que ces compétences sont mises en opposition à leur possible désir de conciliation travail et famille, par exemple.
Un désir tout à fait légitime, mais pour lequel il faut encore se battre, même au Québec.
« Je pense que le 20 % des travailleurs en TI, les femmes, veulent être là et sont prêtes à se battre pour être là. Mais la plupart des femmes ne veulent pas passer leurs journées à se battre pour leur carrière : elles veulent être bien. Elles veulent seulement aller au bureau, bien faire leur travail et rentrer à la maison! »
Répartition des 210 000 professionnels selon le sexe dans les 18 professions en TIC en 2016
De l’importance du réseau
« Il semble que les femmes ayant un profil plus masculin et celles ayant un réseau de contacts plus développé que leurs consoeurs réussissent mieux à progresser. »
C’est ce qu’on peut lire dans le Diagnostic sectoriel de TECHNOCompétence. Pour la partie réseau de contacts, Cassie Rhéaume ne pourrait être plus d’accord.
« Ne jamais sous-estimer l’importance du réseau! » conseille-t-elle aux femmes qui veulent oeuvrer dans le secteur des TI.
« Les femmes plus que jamais ont intérêt à se soutenir entre elles, poursuit la directrice de Lighthouse Labs. Pour partager les ressources, ce qu’elles vivent, ce qui les pousseraient à quitter le domaine : c’est important que ce soit connu. »
Selon Cassie Rhéaume, le réseau peut aussi fournir les ressources pour permettre de « transférer dans un milieu plus sain. »
« C’est l’occasion que les gens se tendent la main et se donnent la force nécessaire de peut-être continuer. »
Lâchez pas, les filles.