Il crée la musique et les sons des jeux vidéo!
Céline Gobert
24 mai 2017
Carrière
6 minutes à lire
905
À 14 ans, il faisait partie d’un band de métal. À 18, il rêvait d’être rock star. Après un doctorat en composition, il a cofondé Vibe Avenue, un studio spécialisé en musique et design sonore pour les jeux vidéo!
C’est dans les studios d’enregistrement et de mixage de Vibe Avenue que Mathieu Lavoie nous reçoit pour nous présenter son travail de compositeur. Le studio, recouvert de panneaux acoustiques rouges absorbant le son, a été calibré à 80 décibels. Les hauts parleurs ont été placés à des angles mesurés très précisément en fonction de la taille de son partenaire François-Xavier Dupas, et ce afin d’optimiser le travail de ce dernier.
Au départ, Mathieu Lavoie composait des musiques de films, mais les contrats dans le domaine du jeu vidéo étant plus nombreux, il s’est spécialisé dans cette voie. Il évoque avec nous les différences entre composition et sound design, ainsi que les dessous d’un métier fascinant qui en fait rêver plus d’un!
Espresso-Jobs: Vous vous êtes intéressé à la musique ou aux jeux vidéo en premier?
Mathieu Lavoie: Quand j’avais 18 ans, j’étudiais en musique au cégep de Sainte-Foy, je composais déjà comme guitariste, je pensais devenir une rock star. J’ai rencontré Dominique Brown, qui voulait lancer une compagnie à Québec, Beenox. On a travaillé là-dessus pendant 3 ans. J’ai ensuite vendu mes parts pour venir faire mon bac, ma maîtrise et mon doctorat en composition à l’Université de Montréal. Je suis maintenant professeur à l'UQÀM. J’ai enseigné plusieurs sujets dont l’orchestration. Il y a huit ans, j’ai créé le cours création sonore pour les jeux vidéo qui n’existait pas au Canada. On a tout de suite fait des partenariats avec le Centre Nad ou Polytechnique. Ce n’était jamais arrivé auparavant.
C’est difficile de vivre du métier de compositeur?
Les gens qui font vraiment ça au Québec, et qui gagnent leur vie, ça se compte sur les doigts des deux mains. Les autres fonctionnent par contrats. Il n’y a que les studios Gameloft qui offrent des emplois 9 à 5 à des compositeurs. Dans l’histoire du Québec, il n’y a peut-être que l’ONF qui faisait ça, dans les années 1940.
Combien va gagner un compositeur?
Il y a plusieurs manières de voir ça. Il faut que le compositeur se demande: combien de minutes de musique dois-je composer? Combien de temps ça me prend à composer une musique? Combien je vaux de l’heure, incluant mon matériel? Ça exige des ordinateurs très puissants. Les banques de sons sont extrêmement dispendieuses, on parle de 20 000$ par exemple. Une minute de musique vaut-elle 100$? 500$? 1000$? Est-ce qu’on a tout composé à l’ordinateur? Engagé des interprètes que l’on doit payer? A-t-on notre propre studio? Il n’y a pas de réponses parfaites. Les musiciens sont parmi les travailleurs les plus pauvres du Québec, pourtant ils font partie de ceux qui ont le plus étudié dans leur domaine de formation. Un violoniste a commencé à apprendre à l’âge de 6 ans! Après, à Gameloft, à temps plein, c’est autre chose...50K, 55K, 60K selon qui tu es. Chez Ubisoft, ça marche davantage à contrats. Quand c’est pour un projet AAA, ça peut valoir 150 000 ou 200 000 $. Si il y a un orchestre symphonique, c’est le studio qui va le payer.
Et les sound designers?
Un sound designer, c’est différent. Souvent, ce sont des ex-compositeurs qui se sont tournés vers ce métier car c’était trop dur de gagner leur vie comme compositeur. C’est plus commun qu’ils soient salariés à l’interne des studios. Les salaires varient d’un studio à l’autre. Dans les AAA, ça peut commencer à 35K, puis aller jusqu’à 80K et plus si tu deviens lead audio. Je dirais que ça se stabilise en général autour de 40-45K.
En tant que sound designer, quel est l’autre aspect de votre métier, quels outils utilisez-vous pour faire des sons originaux?
Tout! Les légumes, par exemple. Dans un jeu, quand un monstre explose, ce qu’on fait c’est qu’on détruit un melon d’eau. Ça sonne juteux, ça a de la chair. On peut prendre une laitue puis la faire bouger, ça imite le bruit d’écailles. Les sound designers se baladent constamment avec des enregistreurs, absolument tous les sons peuvent leur servir. Le monde nous fournit la base du matériel qu’on a besoin. Nous avons aussi des banques de sons que l’on peut utiliser. Pour un jeu d’un studio en Turquie, on voulait des sons de jouets d’enfants. Toute la gang a passé une journée à enregistrer des ballons qui éclatent, des élastiques que l’on étire, etc.
Les élastiques, ça produit quels sons?
Avec les élastiques, on peut avoir un son de catapulte un peu cartoon. Notre travail va être également d’anticiper tous les mouvements du joueur dans le jeu. S’il marche sur la terre, sur un tapis, du béton, il faut recréer ce son. Même chose pour tous les bruits de collision.
Ça requiert de la programmation.
Comment se déroule le développement d’un projet?
Lors de la phase de recherche et de développement d’un jeu, un studio nous demande de composer la musique pour qu’il puisse aller voir des éditeurs avec ça et essayer de vendre ses idées. Ça peut être deux ans avant la sortie du jeu. Après, une fois en phase de production, notre travail peut prendre 6 mois ou deux ans. En ce moment on est sur un jeu depuis 4 ans et demi. La dernière étape, c’est le polissage. On repère les erreurs, on gère les transitions, etc.
Comment trouvez-vous des clients?
On va boire de la bière! (Rires) C’est beaucoup de réseautage. Il faut faire des pitchs, on peut aussi composer des musiques pour prouver que le fit est bon. C’est un peu «Do the job to get the job!»
Comment définissez-vous le style de la musique?
On va écouter beaucoup de musiques avec les clients. Des fois, ils nous engagent car ils ont aimé ce qu’on a fait sur un jeu et ils veulent quelque chose de similaire. La soundtrack la plus populaire, qu’on vend le plus en ce moment, c’est celle de Ultimate Chicken Horse. Là, leur instruction était d’avoir un thème récurrent, un truc «catchy» dont on va se souvenir. La deuxième chose, c’était qu’il y ait un élément «funky» dans tous les titres. Pour certains morceaux, on a engagé un saxophoniste et un trompettiste.
Quelles qualités ça prend pour faire ces métiers?
Il faut une bonne paire d’oreilles, être perspicace, cartésien. Quand on fait de la musique de jeux vidéo, on travaille avec ce qu’on appelle «une matrice de transition», c’est très tentaculaire. Tu dois composer la musique comme un casse-tête, de façon à ce que le moteur de jeu ré-assemble les pièces du puzzle pour que ça fonctionne bien (ndlr: le joueur dispose de différentes possibilités et variables dans le jeu qui exigent des transitions musicales différentes). Ce n’est pas comme être un compositeur de musiques de films. Après, ça peut arriver de devoir composer des musiques qui passent en boucle.
Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui souhaite faire ces métiers?
Numéro un: bien calculer ses dépenses. Ne pas travailler bénévolement. Ne pas avoir peur de bien négocier son contrat car les jeunes compositeurs ont peur que s’ils négocient leur contrat, l’employeur va aller voir ailleurs. Il faut dire «non»! Si tout le monde agissait comme ça, on habituerait les employeurs à penser que la musique vaut vraiment quelque chose et les compositeurs seraient plus nombreux à en vivre correctement...
Articles susceptibles de vous intéresser
Emplois susceptibles de vous intéresser
Montréal
Permanent à temps plein
Publié il y a 13 jours
Longueuil
Permanent à temps plein
Publié il y a 20 jours
Montréal
Permanent à temps plein
Publié il y a 21 jours
Vous devez être connecté pour ajouter un article aux favoris
Connexion ou Créez un compte
Emploi favori
Vous devez être connecté pour pouvoir ajouter un emploi aux favories
Connexion
ou Créez un compte