La transition énergétique activement promue par le gouvernement Couillard se heurte à un obstacle de taille : le manque de main-d'oeuvre qualifiée.
Milieux de travail stimulants, nouvelle organisation du travail, recrutement dans les communautés autochtones : les stratégies se multiplient pour attirer de nouveaux employés.
Chez Effenco à Montréal, on a inventé un système qui permet de diminuer de 30 % la consommation de carburant des camions, comme les camions à ordures, les camions de livraison et les bétonnières. Comme ces derniers passent la plupart de leur temps à l'arrêt, Effenco a conçu un module qui coupe automatiquement le moteur du véhicule dès son immobilisation, tout en continuant à alimenter en électricité tout son équipement. En plus de réduire les frais, ce système est moins bruyant et moins polluant.
« Depuis deux ans, on triple nos livraisons chaque année. On a des déploiements au Québec, à Vancouver, à New York et en Californie maintenant et bientôt en Europe », se réjouit Benoît Lacroix, cofondateur de l'entreprise et vice-président aux ventes et au marketing.
Depuis l'an dernier, le nombre d'employés de l'entreprise est passé de 15 à 30, et il doit de nouveau doubler cette année. Un directeur des ressources humaines a récemment été embauché, car le recrutement n'est pas facile. « Pour chacune des offres d'emploi qu'on envoie, je ne peux pas dire qu'on a une tonne de CV qui rentre et qu'on doit analyser », confie M. Lacroix. Son entreprise oeuvrant dans un secteur émergent, les employés d'expérience sont peu nombreux. Ceux qui en ont sont très convoités et reçoivent des offres alléchantes qu'une petite entreprise en croissance peine à égaler.
« Il y a beaucoup d'offres en ingénierie, beaucoup plus qu'il y a de candidats disponibles, confirme l'ingénieur de production, Justin Fontolliet. C'est vrai qu'on a fréquemment des chasseurs de têtes qui nous contactent. » Il a choisi de rester fidèle à Effenco pour le défi professionnel et l'environnement de travail.
Attrait des énergies vertes, horaires flexibles, plus grande autonomie professionnelle : Effenco mise sur ses forces pour faire face à la compétition. Elle se tourne aussi vers de jeunes ingénieurs, fraîchement sortis de l'université.
Benoît Lacroix espère que le manque de main-d'oeuvre n'entravera pas la croissance de son entreprise. « On dit qu'il y a une vague, c'est maintenant qu'il faut la surfer! »
Autre secteur, même défi
Chez Nemaska Lithium, on se prépare à exploiter un gisement de spodumène situé près de la baie James, à 300 kilomètres au nord-ouest de Chibougamau. À terme, on prévoit produire plus d'un million de tonnes d'hydroxyde et de carbonate de lithium, qui seront surtout utilisées pour la fabrication de batteries pour les véhicules électriques et de piles pour les appareils électroniques mobiles.
Quelque 300 emplois seront à pourvoir d'ici trois ans, dans la mine comme dans l'usine de transformation électrochimique.
« On est dans les énergies vertes, ça, c'est extrêmement intéressant et ça attire », se réjouit la vice-présidente ressources humaines et développement organisationnel de Nemaska Lithium, Chantal Francoeur. Si beaucoup de candidats ont déjà manifesté leur intérêt, plusieurs n'ont pas la formation requise.
« Là où il y a des ajustements qui doivent être faits à vitesse grand V, c'est dans la capacité des maisons d'enseignement de donner des formations qui sont en adéquation avec les besoins de l'entreprise », explique Mme Francoeur.
Pour se distinguer des autres entreprises, Nemaska Lithium a choisi d'organiser le travail différemment en mettant en place ce qu'on appelle la « gestion participative ». « C'est un modèle de gestion qui met beaucoup l'accent sur le travail d'équipe, la participation. On essaie de briser des silos, de travailler tout le monde ensemble », décrit Yanick Gagné, technicien opérateur polyvalent.
Sur le plancher de l'usine de transformation, située à Shawinigan, pas de contremaître; on laisse les employés prendre leurs propres décisions. « Le plan de production est déjà préétabli, c'est à nous de séquencer toutes les opérations pour arriver au produit fini dans les temps demandés », expose M. Gagné. « La grande majorité des employés n'avaient jamais travaillé dans un cadre comme ça et ils y tiennent », ajoute Mme Francoeur.
Pour pallier la pénurie de main-d'oeuvre, on se tourne aussi vers les membres des Premières Nations. La proximité de la mine avec la communauté crie de Nemaska rend possible leur recrutement.
« On n'est pas habitué de voir des gens de chez nous travailler dans les mines, se réjouit Nancy Wapachee, dont la famille possède des droits de trappe sur le lot où est située la mine Whabouchi. J'espère qu'on offrira de la formation aux jeunes Cris. »
Changement de paradigme
Pendant longtemps, les campagnes électorales se sont articulées autour de promesses de création d'emploi. Pour la directrice générale de la Grappe industrielle des véhicules électriques et intelligents du Québec, Sarah Houde, « la promesse de nouveaux emplois n'est plus aussi nécessaire qu'elle l'était auparavant ».
Selon elle, il n'est plus question de promettre des emplois, mais plutôt des employés aux entreprises. « C'est un enjeu qui rejoint, qui fédère l'ensemble de nos membres [...] la presque unanimité de nos membres ont des enjeux de main-d'oeuvre », insiste-t-elle. Elle aussi met l'accent sur l'importance de la formation : « C'est clair qu'il faut travailler! On ne peut pas se croiser les bras, il faut déployer des efforts importants pour s'assurer qu'on a toute la main-d'oeuvre qualifiée et en quantité nécessaire pour atteindre nos objectifs de croissance. »
Mme Houde met l'accent sur l'importance de former des cohortes plus nombreuses de travailleurs spécialisés, mais aussi sur l'importance de requalifier ceux qui risquent de faire les frais de la transition énergétique. Car si les postes se multiplient en génie électrique et en mécanique de voitures électriques, des emplois pourraient aussi se perdre à terme dans les raffineries et les stations-service.
« Tout le monde souhaite une transition énergétique [...], mais il ne faut pas vivre dans le déni; ça va engendrer des impacts sur la main-d'oeuvre et il faut s'attaquer à cette problématique dès maintenant pour ne pas laisser personne derrière », fait valoir Mme Houde.